CHAPITRE XV

 

  Quatre silhouettes fantomatiques avançaient dans l’épais brouillard jaune ; trois semblaient des versions grossières et contrefaites de la forme humaine et marchaient lourdement, lentement, à pas inégaux, l’une d’elles tirant un petit chariot contenant une boîte noire oblongue munie de fixations assez curieuses. La quatrième silhouette était plus représentative de son espèce, même si elle portait dans le dos une bosse d’un genre particulier et si son visage semblait ne comporter qu’une paire d’yeux.

Celle qui dirigeait le chariot tapa sur l’épaule de Holman. Ils étaient allés aussi loin qu’ils l’avaient osé. A présent, c’était à lui de jouer. Holman répondit d’un geste qui signifiait son accord, car les trois scientifiques ne pouvaient l’entendre à travers leurs casques à visière. Visière si réduite qu’ils devaient pivoter la tête pour s’apercevoir ; même alors, le brouillard était si dense qu’ils n’y voyaient pas à deux mètres.

Pour Holman qui n’arborait pas de combinaison mais seulement un masque, la vision portait un peu plus loin, quatre ou cinq mètres au maximum. Son compagnon lui tendit la poignée du chariot ; elle comportait un bouton qu’il suffisait de presser pour propulser l’engin, très lourd malgré sa petite taille. Holman scruta le masque du savant, cherchant ses yeux au moins, mais dut renoncer à pénétrer l’obscurité de la visière de verre renforcé, et se contenta d’adresser à l’homme un signe de remerciement.

Il regarda les silhouettes grotesques disparaître dans la brume jaunâtre, avec un sentiment de solitude si aigu qu’il dut résister à l’envie de les rattraper. Mais ces hommes avaient pris un risque en l’accompagnant jusque-là ; ils savaient la lisière du brouillard moins virulente, mais jusqu’à quel point ?

Ils avaient disparu. Il fallait se mettre en route. Holman avait étudié le plan des rues la nuit précédente ; il pensait pouvoir s’y diriger les yeux fermés.

La bouteille d’oxygène qui pesait sur son dos était assez gênante mais on l’avait estimée nécessaire, pour le cas où la brume se révélerait suffocante. Il pressa le bouton actionnant le chariot et se remit en marche. Mal à l’aise, il souffrait de claustrophobie.

Le test qu’il avait subi étant positif, il était presque certain qu’il était immunisé ; suffisamment en tout cas pour considérer que le risque valait la peine. On lui avait pourtant laissé le choix ; personne ne pouvait l’obliger à s’enfoncer de nouveau dans le brouillard. En fait, bien sûr, il n’avait pas réellement le choix : car comment agir autrement ? Si le brouillard n’était pas détruit, des millions de gens en mourraient. La seule solution était le sérum. Et il était le seul à pouvoir quelque chose. A quoi servait de maudire l’armée pour sa stupidité, pour cette bêtise crasse qu’il avait suspectée dès le début ? Le temps était venu de l’action constructive. Mais que saurait-on de tout cela quand ce serait fini ? Si cela finissait jamais...

On lui avait injecté une petite quantité de sang prélevé sur une victime de Bournemouth, vivante mais contaminée. Son propre sang avait radicalement détruit les cellules étrangères. Le volume minime de l’injection suffisait-il à affirmer que l’expérience était concluante ? Ce n’était pas certain, mais dans une crise de telles proportions, il fallait savoir prendre des risques. Et c’était à lui de les assumer.

Il pensa à Casey. Elle était si pâle hier soir, si paisible, et d’une beauté si irréelle dans son sommeil proche du coma. Il ne voulait pas la perdre ! Il aimerait mieux mourir que de vivre sans elle. Etait-ce le fait qu’elle soit malade qui avait exaspéré son amour en même temps que son angoisse pour elle ? Non, cela lui avait simplement donné la mesure de ce qu’elle représentait, et de ce qui lui manquerait si elle n’était plus là. La perdre maintenant serait d’une ironie suprême.

Il s’arrêta. Un instant, il avait cru voir une ombre bouger. Ou était-ce un effet des volutes du brouillard ? Il repartit en longeant les trottoirs de façon à voir les immeubles et les intersections des rues, mais sans y monter à cause de l’engin qu’il traînait derrière lui.

La transfusion de Casey avait été un succès ; ce matin, elle subirait une séance de rayons X, dont l’angle serait constamment modifié de façon à léser le moins possible les tissus sains. Il priait que ce soit une réussite, et refusait d’envisager l’éventualité où ce ne le serait pas.

Il redoutait le moment où il devrait lui annoncer la mort de son  père. Simmons était décédé durant la nuit, sans avoir repris connaissance depuis qu’il avait quitté sa maison. Il était mort seul. Holman ne révélerait jamais à Casey qu’elle avait tué l’homme qu’elle prenait pour son père, car cela pourrait la détruire. Il n’était d’ailleurs pas sûr de vouloir lui rapporter la confession que le mourant lui avait faite. Pouvait-elle amoindrir sa perte ? Il ne le pensait pas. Elle ne servirait qu’à la bouleverser un peu plus, au contraire.

Le brouillard devenait plus épais, plus jaune. Il était arrivé à hauteur de la galerie marchande. S’il tournait à droite, il atteindrait la cathédrale. Il s’immobilisa un instant, oppressé. C’était psychologique, il était prêt à l’affirmer : le brouillard ne gênait pas sa respiration, c’était lui qui, inconsciemment, inhalait aussi peu d’air que possible, même s’il savait pouvoir utiliser la petite réserve d’oxygène fixée dans son dos en cas de nécessité. Ils lui avaient dit que la source d’énergie semblait provenir des alentours de l’ancienne cathédrale. Le chariot qui le suivait comme un chien fidèle contenait une boîte plombée fonctionnant sur le même principe qu’un aspirateur. Avec elle, plusieurs longueurs de tubes métalliques qui, une fois emboîtés et reliés au réservoir, pouvaient aller aspirer un échantillon du mycoplasme au cœur même de sa substance. Le tout suivant un plan hâtivement conçu, mais seul utilisable en un délai aussi bref.

Rassemblant son courage, Holman s’engagea dans la rue qui menait aux pelouses entourant la cathédrale. Rue étroite bordée de boutiques ; en longeant l’une d’elles, il remarqua que sa vitrine avait été brisée. Un peu plus loin, une autre avait subi le même sort. Pillage ? Se pouvait-il que des individus dénués de scrupules soient demeurés en ville, sans comprendre le danger auquel ils s’exposaient ? Le public avait été informé des conséquences d’un contact avec le brouillard ; qui donc s’y risquerait pour le plaisir de cambrioler les boutiques abandonnées ? Peut-être était-ce un accident. Un camion militaire incapable de manœuvrer à l’aise dans la rue étroite, ou quelqu’un qui serait tombé dans la précipitation du départ. Mais alors pourquoi deux vitrines ? Il examina la boutique de plus près. Une bijouterie. Cela confirmait l’hypothèse du pillage. Quelqu’un était resté, au mépris du danger et des avertissements. Quelqu’un, ou quelques-uns. Se trouvaient-ils encore dans les parages, ou s’étaient-ils enfuis une fois leur forfait accompli ? Il haussa les épaules : ce n’était pas son problème.

Plus il approchait de l’édifice, plus le brouillard devenait jaune. Le champ de vision se réduisit encore. Il franchit la grille cernant les pelouses qui abritaient quelques tombes, et plissa les yeux pour percer la pénombre. Il fallait trouver l’allée qui menait aux portes de l’antique sanctuaire. Cette lueur, où était-elle ? N’aurait-il pas dû la voir déjà ? Il allait faire le tour du bâtiment. Les scientifiques soutenaient que le centre se trouvait là, quelque part. Il avait pu se déplacer, bien sûr, encore que le vent soit presque inexistant.

Comme il approchait de l’entrée de la cathédrale, une lueur très faible lui parvint. Il s’arrêta net. Etait-ce possible ? Le noyau, le cœur du produit, s’abriterait-il dans la grande église ? Poussé dans la cathédrale de Winchester, serait-il prisonnier de ses murailles massives ?

Une autre pensée, plus troublante encore, traversa l’esprit de Holman : et si ce n’était pas par hasard ? Si cette présence était délibérée ? Idée invraisemblable, qu’il s’efforça de chasser. C’était trop fantastique, de la science-fiction. Mais toute cette affaire ne relevait-il pas du fantastique ?

L’idée persistait.

Il se remit en marche avec circonspection, sans aucun bruit. Il se sentait environné d’un froid qui le glaçait, et contre lequel il luttait en se disant que les circonstances, la solitude et l’absence de visibilité se liguaient contre son imagination pour le faire céder à la peur.

Décidément, aucun doute : cette fameuse lueur  – ou n’était-ce qu’une nuance plus brillante de jaune ? - provenait du portail grand ouvert. Aurait-il le courage d’affronter ce qui se cachait là ?

— Allons-y ! dit-il tout haut pour s’enhardir.

Sur le seuil, il jeta un coup d’œil à l’intérieur. L’atmosphère était beaucoup moins respirable, l’acidité de l’air brûlait les narines et la gorge. Il prit le masque à oxygène jeté par-dessus son épaule ; sur le point de l’ajuster, il crut voir quelque chose bouger. Immobile, il observa l’endroit où le mouvement s’était manifesté. Toujours son imagination ? Il ne vit rien que les volutes du brouillard. Il écouta... Rien. Rien que les battements de son propre cœur.

Il revint donc à la source lumineuse. Son point le plus intense semblait se situer au centre du vaste édifice, près de l’autel. Elle n’avait pas de forme définie, et ses lisières mouvantes n’étaient visibles que par contraste entre les nuances de jaune : celui plus clair du noyau lui-même, et celui plus terne, plus grisâtre, du brouillard qui le protégeait. Il était impossible de définir la taille de cette extraordinaire arabesque en mouvement, tant les couches de brume faussaient la vision ; une puissance mauvaise semblait en exsuder, une poussée maléfique effroyable, quoique étrangement fascinante.

 Ce fut au prix d’un extrême effort de volonté qu’il s’arracha au spectacle sinistre pour s’agenouiller près de sa machine. Il se souvint alors du masque à oxygène qu’il mit en place sur sa bouche après avoir ôté son masque antibrouillard. Quelques inspirations profondes lui clarifièrent aussitôt l’esprit ; c’était à se demander si le brouillard n’agissait pas comme un stupéfiant. Il détacha les tubes métalliques de leur support, et se mit en devoir de les assembler. L’action qu’il lui restait à accomplir le rendait encore plus nerveux.

Aurait-il la témérité d’approcher la masse lumineuse qui semblait si pure et n’était qu’une monstruosité mortelle en expansion ? Il ne pouvait encore en décider. Aussi se concentrait-il sur sa tâche ; le moment de vérité arriverait bien assez tôt, celui où il marcherait vers la chose ou bien s’enfuirait à toutes jambes. Quelque direction qu’il prenne alors, il y serait poussé par l’instinct, non par la raison. Il valait mieux ne pas y penser à l’avance.

Il prit conscience de leur présence sans l’avoir vue ni entendue, en la percevant simplement. Trois formes sombres dans le brouillard, espacées de quelques pas, immobiles, silencieuses. Son regard effaré alla de l’une à l’autre : l’immobilité les rendait plus effrayantes encore.

Il se leva plein d’appréhension, les doigts crispés sur la baguette métallique avec laquelle il travaillait. L’une des formes s’avança, et il vit avec un certain soulagement que c’était un homme. Mais la tête était différente.

Saisi d’horreur, Holman recula d’un pas en brandissant le tube de métal. La silhouette s’approcha encore, et il eut presque envie de rire. C’était bien un homme, et l’aspect anormal de sa tête était dû au ridicule masque à gaz de la Seconde Guerre mondiale qu’il portait. Il tenait un long chandelier noir, dont la pointe aiguë qui avait dû supporter un cierge était braquée vers Holman.

— Qu’est-ce que vous fichez ici ? cria Holman en enlevant son masque à oxygène pour être entendu.

Il n’y eut aucune réponse, et l’homme continua d’avancer sur lui.

— Ce brouillard est dangereux, vous auriez dû partir avec les autres ! continua Holman sans quitter des yeux la pointe dirigée vers sa poitrine.

Dans une sorte d’hypnose, il la vit s’élever et prendre son élan pour frapper. De toutes ses forces alors, il enfonça le tube métallique dans l’estomac de l’homme qui se plia en deux, puis le frappa d’un revers sur la tête. L’homme s’effondra.

Aux deux autres maintenant. Il leva son arme, prêt pour l’assaut. Mais ils avaient disparu. Comme il cherchait autour de lui, l’homme affalé se mit à gémir, se tortillant. S’agenouillant près de lui, il le retourna sur le dos. Pauvre insensé ! Il avait dû croire que le masque à gaz le protégerait du brouillard, et saisi l’occasion de mettre la main sur quelques objets de valeur dans la ville désertée. Mais que faisait-il dans la cathédrale avec ses compagnons, et pourquoi l’avait-il attaqué ? La maladie les aurait-elle déjà atteints ? Ou avaient-ils cru qu’il menaçait leur liberté ?

Il ôta le masque sous lequel grognait l’homme et vit que ses yeux avaient cet éclat légèrement vitreux qu’il avait observé dans ceux de Casey : l’homme avait été infecté.

Le bruit d’un pas derrière lui l’avertit qu’un autre approchait. Il se retourna, et un coup oblique l’étala sur le dos ; sous le choc, le tube lui échappa des mains. Une silhouette se dessina au-dessus de lui, un rire mécanique, hystérique, retentit. Brusquement, le troisième se matérialisa à ses côtés et joignit son rire à celui de son compagnon. Tous deux saisirent Holman par les chevilles et entreprirent de le traîner sur le dallage en direction de la lueur jaune. Il eut beau se débattre à coups de pied, ils ne lâchèrent pas prise ; ses efforts ne firent qu’augmenter leur hilarité. Et sur cette pierre usée par les siècles, pas une aspérité où s’accrocher. En dépassant celui qui était assommé, il toucha le lourd chandelier, s’efforça désespérément de l’attraper. L’objet roula hors de sa portée, et il le crut perdu ; mais par bonheur, le pied de l’homme recroquevillé à terre l’avait arrêté, et Holman parvint à le saisir. Il allait le lancer sur l’un de ses assaillants quand l’homme qu’il pensait avoir mis hors d’état de nuire se releva sur les genoux avec un rugissement de forcené et se jeta sur lui, les dents découvertes, prêtes à mordre.

Holman réussit à bloquer un coude sous la gorge de l’homme en même temps qu’il rejetait sa tête de côté pour éviter ses dents. Les deux autres poussèrent des cris de rage en voyant qu’ils n’avançaient plus. Ils lâchèrent les jambes de Holman et se mirent à frapper les deux corps aux prises l’un avec l’autre, sans distinction. L’un d’eux empoigna les cheveux du premier fou pour lui tirer la tête en arrière et pouvoir le frapper plus à l’aise.

Pour Holman, c’était l’occasion. Abattant le chandelier sur la gorge découverte de l’homme, il lui écrasa la trachée. Cela lui souleva le cœur, mais ce n’était pas le moment de s’appesantir sur ses remords ; les deux autres avaient retourné toute leur attention vers lui.

Repoussant l’homme inerte, il tira par surprise sur la cheville du deuxième, qu’il envoya heurter durement le sol. Il se sentit alors agrippé par-derrière : dans un rire féroce, le troisième homme lui serrait le cou pour l’étrangler. Comme il était au-dessus de lui, la salive coulait de sa bouche béante sur le visage convulsé de Holman. Ce dernier avait l’impression que sa tête allait exploser. Il s’affaiblissait, mais restait conscient du ricanement de son agresseur. Alors que sa vue commençait à flotter, il vit celui qu’il avait mis à terre se relever sur un coude et rester là à l’observer, en riant de plus belle. Vaguement, comme s’il n’était pas concerné, il se rappela qu’il tenait toujours le chandelier. Des deux mains, il le projeta vivement vers le haut, et la pointe acérée dut toucher un endroit vulnérable : le hurlement de l’homme et le flot de sang qui se déversa sur le visage de Holman ajouta encore à l’horreur du cauchemar. Les doigts qui étreignaient sa gorge se desserrèrent, l’agresseur s’écroula à ses pieds, et il put enfin aspirer avidement cet air vicié. Le dernier survivant pointait vers lui un index tremblant, avec un rire frénétique.

C’en était trop. Holman se remit péniblement debout et sortit de la cathédrale en courant.

Une fois dehors, il s’affala sur les genoux au milieu de l’allée de gravier, mais le bruit sourd des pas lancés à sa poursuite le fit se relever pour chercher refuge au plus profond du brouillard, non sans une pensée de reconnaissance. Il s’aperçut qu’il courait dans l’herbe, au mépris du danger de buter contre un arbre ou une tombe. Il n’avait plus qu’une seule idée : fuir. Fuir ces déments, fuir cette cathédrale envahie d’un poison mortel. Fuir le brouillard, se retrouver au milieu de gens normaux. Il avait tout oublié de sa mission, l’instinct de survie seul le soutenait. Il ne remarqua pas que le vent se levait, que les volutes de fumée tourbillonnaient plus fort.

Sur l’herbe mouillée, il glissa, piqua du nez sans pouvoir rétablir son équilibre, et fonça tête baissée dans le tronc d’un arbre. Un craquement sonore, et il s’affaissa lentement contre l’arbre, sur les genoux d’abord, puis de tout son long dans l’herbe.

Alors que sa conscience le quittait, il vit une silhouette confuse émerger de la brume et s’arrêter près de lui. Son ricanement rauque fut la dernière chose qu’il entendit avant de sombrer.

 

  Ils trouvèrent le dément occupé à enterrer Holman vivant. Le brouillard avait déserté la ville, balayé par une rafale de vent et de pluie aussi soudaine qu’imprévue ; les hélicoptères qui se tenaient à la lisière de l’épaisse nappe grise avaient aussitôt survolé la cité à basse altitude pour repérer Holman. Comme l’un d’eux tournait autour de la cathédrale, son pilote aperçut la silhouette d’un homme qui creusait. Du moins crut-il qu’il creusait, mais en s’approchant, il comprit qu’il s’affairait au contraire à combler un trou profond. Un membre de l’équipage lui tapa vigoureusement sur l’épaule, en hurlant pour couvrir le bruit du moteur :

— Hé là, il faut se poser tout de suite ! Il y a un corps là-dedans, regardez ! Cet homme essaie de l’enterrer !

L’escroc à la petite semaine qui avait saisi l’aubaine de piller tranquillement la ville abandonnée avec les copains continuait à remplir avec entrain la fosse où il avait jeté le corps de l’homme évanoui, nullement dérangé par l’hélicoptère qui atterrissait. Cette fosse, des ouvriers l’avaient creusée la veille ; elle était destinée à accueillir les restes d’un important dignitaire de l’Eglise qui avait souhaité reposer à l’ombre de sa cathédrale bien-aimée. L’ordre d’évacuation immédiate avait interrompu leur travail et l’enterrement prévu pour l’après-midi même s’était vu remplacé par une cérémonie beaucoup moins digne.

Le front tuméfié, Holman gisait au fond de la tombe ouverte où on l’avait poussé sans ménagement. La terre qui tombait sur son corps le tira de son inconscience ; il remua un peu, une plainte s’échappa de ses lèvres. Il porta la main à sa tête, les paupières closes encore, et une pleine pelletée de terre lui arriva en plein visage, lui emplit les yeux et la bouche. Il suffoqua, cracha, fit de vains efforts pour s’asseoir, ne put que dégager partiellement sa figure, parce que ses idées n’étaient pas encore très claires. Les mottes de terre continuaient à tomber sur lui, et son esprit luttait pour comprendre ce qui lui arrivait. Ce fut le hideux ricanement de l’individu qui brisa enfin sa stupeur et le ramena complètement à lui.

Il rouvrit les yeux, prudemment cette fois, en se protégeant de la main. Là-haut, il aperçut les bords de la tranchée, puis l’homme qui lui lançait de grandes pelletées de terre, et comprit subitement où il se trouvait : cet homme était en train de l’enterrer vivant !

Pris de panique, il réussit à se redresser en s’accrochant aux parois de la fosse ; l’homme gronda de colère, brandit sa pelle dans l’intention de l’en frapper...

Holman leva un bras pour détourner le coup, ferma les yeux et attendit, sachant que l’espace trop restreint ne lui permettrait pas de se dérober. Le coup ne vint jamais. Il y eut des éclats de voix, des bruits de lutte. Quand il rouvrit les paupières, il ne vit plus que le morceau de ciel gris que découpait l’ouverture rectangulaire de la tombe. Il s’aperçut que la pluie tombait à verse, ce qui acheva de le ranimer ; et il se prépara à un nouvel assaut.

Mais une face rieuse s’encadra dans le rectangle de ciel gris, et une voix s’écria :

— Allons, monsieur Holman, ce n’est pas le moment de s’endormir !

On lui tendit une main pour l’aider à sortir de ce lieu d’épouvante.

Fog
titlepage.xhtml
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_000.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_001.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_002.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_003.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_004.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_005.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_006.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_007.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_008.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_009.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_010.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_011.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_012.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_013.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_014.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_015.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_016.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_017.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_018.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_019.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_020.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_021.htm
Herbert,James-Fog.(The fog).(1975).French.ebook.Alexandriz_split_022.htm